Spéculation et pilotage à vue chez Engie… performance hors normes chez EDF après une année 2022 catastrophique.
Engie et EDF ont annoncé en février dernier de très bons résultats, mais derrière ces bonnes nouvelles, la réalité n’est pas très rassurante…
Un résultat spéculatif qui ne durera pas chez Engie…
La croissance de 18 % du résultat d’exploitation, hors nucléaire à 9,5 Md €, est essentiellement portée par les très bons résultats de l’activité de trading sur le marché de l’énergie et par le renouvelable. Le trading, réalisé par Global Energy Management & Sales (GEMS), enregistre une croissance organique de plus de 900 M€ sur l’année, mais ce sont les usagers qui payent la note en achetant très cher à Engie, mais aussi aux autres fournisseurs, une énergie en réalité moins coûteuse.
Les usagers payent la note en achetant, très cher, une énergie en réalité moins coûteuse
Les marchés se calment désormais. Un tel niveau d’excédents sera donc difficilement atteignable dans les prochaines années. Les bons résultats des énergies renouvelables, qui sont au cœur de la stratégie de croissance du groupe, sont portés principalement par l’hydroélectricité. Elle représente 5 GW des capacités électriques d’Engie en Europe, et les autres énergies nouvelles renouvelables (éolien, solaire) font l’objet d’un investissement conséquent.
… et des dividendes versés supérieurs au résultat net !
Dans la logique des niveaux records des grandes entre- prises françaises, Engie verse une contribution en dividendes la plus importante depuis dix ans : plus de 3,5 Md € pour ses actionnaires, alors que le résultat net est de 2,2 Md €, soit un taux de distribution de 160 % ! Sur les 4 dernières années, Engie aura distribué 10,5 Md € de dividendes pour un résultat net cumulé de 7,3 Md €. En appliquant un taux moyen de distribution du CAC 40 d’environ 50 % du résultat net, ce sont 3,7 Md € qu’Engie aurait dû distribuer : 7 milliards gaspillés en actionnariat alors qu’ils auraient dû nourrir l’investissement. Un tel niveau de dividendes met en exergue une stratégie financière qui redistribue aux actionnaires une manne que le Groupe n’est pas en capacité d’investir… tout cela pour viser des taux de rentabilité exagérément élevés et exigés par les marchés. Cela traduit la difficulté d’Engie à assurer la transition énergétique dans le cadre d’un marché privatisé et concurrentiel de l’énergie, ainsi qu’une absence de vision stratégique de la direction mais aussi de l’État pour Engie.
En 4 ans, Engie aura distribué 10,5 Md € de dividendes pour 7,3 Md € de résultat net cumulé
Les errements de la stratégie d’Engie
“Tout nucléaire” de 2008 à 2010, “tout électricité” de 2011 à 2015 (rachat d’International Power), “tout services” de 2015 à 2019 (avec ventes des actifs amont gaz), et enfin “tout activités capitalistiques” depuis 2020 (ventes des services)… tous ces zigzags, opérés dans un temps très court, ont affaibli le Groupe, aussi bien pour l’activité historique gazière (ex GDF) que pour les services à l’énergie (ex Suez). Aujourd’hui, la direction du Groupe n’a plus de ligne claire et développe une stratégie de « coups ». Ainsi, la production d’électricité qui n’était plus
cœur de métier, revient à l’ordre du jour suite à la pénurie des années 2021-2022 qui a beaucoup rapporté au Groupe. L’hydrogène est mis en avant, pour autant qu’il soit subventionné par les usagers (via les tarifs d’infrastructures), solaire et éolien font l’objet d’investissements importants… mais là où les taux de rentabilité sont au rendez-vous, c’est-à-dire sur le continent américain, et notamment aux USA, la chasse aux subventions devient, là aussi, le « cœur de métier ».
La direction d’Engie n’a plus de ligne claire et développe une stratégie de « coups »
Les conséquences sont claires : des incertitudes sur de nombreuses activités, en particulier les activités historiques, et sur le périmètre historique (France et Benelux). Cette situation est largement due au positionnement de l’État, qui, par l’intermédiaire du ministre Macron de l’époque, professait qu’il y avait un énergéticien de trop en France… et nous avions compris qu’il ne parlait ni d’EDF ni de Total !
Une performance exceptionnelle à EDF pour 2023
Un EBITDA (≈ « bénéfice d’exploitation ») de 40 Md € et un cash-flow de 9 Md € (≈ « trésorerie générée »), c’est du jamais vu depuis 1946. EDF diminue ainsi de 10 Md € sa dette dite classique (et non sa dette hybride*, qui a pourtant un coût du capital bien plus élevé). Dans une sorte de pied de nez du marché, avant la fin programmée de l’ARENH fin 2025, la tendance s’est inversée et les prix ont été, pour une fois, très favorables au groupe EDF depuis le deuxième semestre 2022, contrairement aux années 2010-2021, où l’ARENH n’avait fait que creuser la dette d’EDF. Cette dette avait atteint près de 80 Md € fin 2022 (avec les 12 Md € d’hybrides inclus). Rappelons que pour la seule année 2022, les pertes s’étaient élevées à 18 Md € du fait de l’arrêt de plusieurs tranches nucléaires en raison du phénomène de corrosion sous contrainte et de l’augmentation aberrante du volume d’ARENH de 100 à 120 TWh.
Toutefois, la rentabilité à terme du projet anglais d’Hinkley Point (HPC) est revue significativement à la baisse avec 13 Md € de dépréciations d’actifs (des pertes de valeur) et EDF recherche des partenaires… Mais ces très bons résultats 2023 ne permettent pas de faire face au mur d’investissements nécessaires à la transition énergétique. La dette devrait donc encore se creuser, avec le recours, comme depuis 2012, à l’opium du Groupe que sont les dettes hybrides, pour faire face à toutes les dépenses contraintes.
Mais tout cela se fait aux dépens des agents, aux dépens des effectifs, et donc entraine une augmentation importante, parfois insoutenable, des charges de travail. En parallèle, la politique salariale est depuis de trop nombreuses années, minimaliste. Si on y ajoute le fait que les nouveaux embauchés ne bénéficient désormais plus du régime spécial de retraite, cela va forcément complexifier le processus des recrutements alors même qu’ils sont conséquents pour les années à venir…
Ces très bons résultats 2023 ne permettent pas de faire face au mur d’investissements d’EDF
Notons qu’une réforme du marché au niveau européen est à venir et qu’actuellement les prix de l’électricité chutent fortement. Ceci est très préoccupant au niveau économique et financier pour EDF pour les années à venir, avec des perspectives qui ne s’éclaircissent pas, dans un système où l’hydraulique est toujours dans le viseur de l’Europe. Et tous les pseudo « ajustements » de marché ne font qu’altérer une situation déjà intenable.
Il faut sortir l’électricité des griffes du marché et revenir à un EPIC
En 2025, le CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) standardisera les indicateurs du reporting extra-financier. Mais pour la FNME-CGT il est urgent de protéger « l’outil de politique économique » qu’est EDF, pour reprendre les mots du ministre de tutelle qui, désormais, s’invite au Comex… Pour protéger ce service public et lui permettre de mettre en œuvre l’avenir énergétique décarboné français, il n’y a qu’une seule solution : sortir l’électricité des griffes du marché et revenir à un outil de la Nation sous forme d’EPIC (Établissement Public à caractère Industriel et Commercial).