Quel avenir pour les centrales thermiques ?

Entre fermetures et réouvertures des centrales à charbon, les salariés s’inquiètent pour leur futur… Entretien avec Julien Lambert,  Secrétaire fédéral en charge des questions énergétiques.

 

Dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique, Emmanuel Macron et son gouvernement avaient pris l’engagement de fermer les centrales à charbon en France à l’horizon 2022. Cette décision était inscrite dans la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) et dans la loi relative à l’énergie et au climat de 2019. Depuis, la centrale du Havre a définitivement cessé de fonctionner en avril 2021 ainsi que la dernière tranche charbon de Gardanne.

En revanche les centrales de Cordemais (Loire Atlantique) et Saint Avold (Moselle) sont toujours en fonctionnement. Car en novembre 2022, le gouvernement a fait réouvrir la centrale de Saint-Avold, pourtant fermée depuis mars 2022, afin de répondre à la crise énergétique en Europe liée au gaz russe et aux problèmes de corrosion sous contrainte du nucléaire français.

Depuis août 2023, pour assurer la continuité de production d’électricité en cas de pics de consommations électriques hivernaux, la Ministre de la transition énergétique a prolongé jusqu’en 2027 le fonctionnement des deux dernières centrales à charbon françaises. Et cette décision s’est avérée judicieuse lors de la vague de froid de début janvier 2024, même si la part du charbon dans le mix énergétique français représente moins de 1 % de la production totale. Toutefois, la prolongation de leur fonctionnement continue de susciter oppositions et débats…

Cordemais et Saint-Avold sont prolongées jusqu’en 2027

  • Options : En quoi les centrales à charbon sont-elles indispensables ?

Dans les périodes de forte demande sur le réseau, notamment lors des pics de consommation durant les périodes de grand froid ou de canicule, le besoin d’électricité dépasse les capacités de production nucléaire, hydraulique et autres renouvelables (éolien, solaire). Les centrales thermiques, dont celles à charbon, sont un moyen d’appoint ou de dernier recours quand les mégawatts viennent à manquer.

Elles permettent d’ajuster rapidement la production aux besoins et d’ajuster la qualité du courant (en fréquence). En effet, aucune énergie ne suffit, seule, à répondre à tous les besoins. L’avantage majeur des centrales à charbon est leur flexibilité pour produire des kWh : c’est donc un élément du mix énergétique français essentiel pour répondre aux besoins du pays et éviter le risque de coupure.

Aucune énergie ne suffit, seule, à répondre à tous les besoins en électricité

  • Est-ce que la fermeture des centrales à charbon est une priorité pour lutter contre les émissions de gaz à effet de serre ?

Les secteurs qui émettent le plus de CO2 sont le transport et l’agriculture. A eux deux, ils représentent la moitié de nos émissions. Fermer les dernières centrales thermiques fonctionnant au charbon n’est donc pas vraiment la priorité mais relève plus du symbole. La loi énergie climat de 2019 a limité le fonctionnement des centrales à charbon sans réflexion sur le besoin de productible pilotable en France et sans accompagnement industriel des territoires.

En 2015, lors de la COP21, dans la surenchère politique, Ségolène Royal alors Ministre, a émis l’idée d’une taxe spécifique sur les centrales à charbon françaises pour les contraindre à fermer. En 2017 Emmanuel Macron a repris cette idée d’axer la lutte contre le climat uniquement sur la fermeture des 4 centrales à charbon françaises, alors qu’elles représentent à peine 1 % de émissions françaises de CO2.

  • Existe-t-il des solutions pour aboutir à du thermique décarboné ?

Les centrales thermiques fonctionnent aujourd’hui avec des combustibles fossiles : gaz, fioul et charbon. Ce n’est pas une fatalité et des solutions existent pour s’engager dans un cercle vertueux, pour un mix énergétique bas-carbone. Pour y arriver, de nouveaux combustibles de substitution issus du recyclage de l’industrie du bois, de la méthanisation de déchets organiques, du tri et de la valorisation de déchets multiples, mais aussi avec de l’hydrogène décarboné… sont autant de solutions pour remplacer les fossiles. De plus, on peut agir sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre en installant des unités de captage et de stockage du CO2, ou en développant le captage et l’utilisation du CO2 pour d’autres process. Le CO2 capturé pourrait ainsi être converti en différents hydrocarbures comme des e-fuel, du méthanol… ou bien transformé en plastique, en béton ou encore en réactifs pour diverses synthèses chimiques. Cela permettrait d’aller vers une neutralité carbone pour ces processus de production.

  • Quelles sont les propositions de la CGT ?

7 années ont été nécessaires pour développer le projet de Cordemais porté par la CGT. Ce sont les salariés du site qui ont pensé, développé, porté politiquement et industriellement le projet nommé Ecocombust . L’objectif est de produire un combustible sur le site de la centrale appelé black pellet, issu de déchets de bois B (ameublement), collectés localement, pour remplacer quasiment à l’identique le charbon.

Des projets pensés, développés, portés politiquement et industriellement par les salariés et la CGT

Sur Gardanne, depuis plusieurs années, la CGT avec l’association des travailleurs de la centrale de Gardanne porte un projet global pour le maintien et le développement de l’emploi et des capacités de production énergétique. Aujourd’hui, le projet Bio Gaz Gardanne (projet CGT) fait partie des projets retenus par le gouvernement dans le cadre des plans de transition énergétique.

  • Comment réagissent les salariés à ces annonces de fermetures au final reportées ?

Il est toujours plus difficile de subir une situation plutôt que de la choisir. Surtout quand, pour certains salariés, cela se traduit par un licenciement dans le cadre d’un plan social. Pire, le redémarrage de Saint Avold a conduit Gazel-Energie à rappeler des salariés retraités ou partis du site…

Les salariés sont très attachés à leur ancrage local

L’incertitude permanente pèse donc au quotidien, dès lors que les entreprises ne proposent pas de solutions alternatives viables. D’autant que les salariés sont très attachés à leur ancrage local. Les projets portés par les salariés et la CGT à Cordemais et Gardanne donnent heureusement des perspectives d’emplois.

  • Le projet de loi sur la souveraineté énergétique de la France, qui sera discuté début février à l’Assemblée Nationale, laisse-t-il une place au thermique ?

L’avenir du thermique reste encore vague à ce jour, mais le projet de loi semble laisser entrevoir des perspectives avec le maintien de la puissance installée. Cela sous-entend qu’il n’y aurait aucune fermeture de moyen de production, ce qui implique que la reconversion des centrales charbon, voire la construction de nouveaux moyens de production thermique décarboné, soit un objectif à terme.

20 000 MW de thermique décarboné à l’horizon 2050 ?

Le projet de loi pourrait également viser, à l’horizon 2050, une volonté d’atteindre un seuil d’environ 20 000 MW installés de thermique décarboné. Mais cela nécessitera un effort sur la Recherche & Développement, y compris sur les filières de combustibles bas carbone comme la biomasse sans oublier le biogaz.

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