Sans Fission point de fusion

[Options n°651 – novembre 2019 – pages 4-5]

Quand les médias évoquent l’électricité d’origine nucléaire ils ne parlent quasi exclusivement que de fission : casser des atomes lourds. Il existe pourtant une autre forme « nucléaire » qui consiste en la fusion de deux atomes légers…

Quelle que soit la génération de réacteurs considérés, la fission nucléaire consiste à casser un atome lourd ( Uranium 235U, Plutonium 239Pu…) qui libère beaucoup d’énergie (de l’ordre de 200 millions d’électrons Volts (MeV)). Mais avant de domestiquer cet énorme potentiel énergétique, il a fallu d’intenses efforts de recherche pour aboutir au parc nucléaire actuel. Il satisfait les besoins en électricité tout en offrant aux citoyens français une électricité abordable, bas carbone, et cela bien avant que les émissions de CO2 ne deviennent un problème mondial.

Production centralisée bas carbone

La fission nucléaire justifie une production centralisée, avec un nombre limité de réacteurs répartis sur tout le territoire français. Mais aujourd’hui, l’opinion publique sur le nucléaire n’est pas au beau fixe. C’est bien sûr lié aux médias (peu favorables), mais aussi parce qu’une partie de la population craint un accident nucléaire et ses conséquences potentiellement dramatiques.
L’introduction en continu de nouvelles exigences de sûreté nucléaire, pour réduire encore plus toute forme de risque et confiner l’impact d’un incident, rend de plus en plus complexe ces installations : elles deviennent de véritables « cathédrales » de technologies. Pourtant cela fait peu bouger l’opinion car la toxicité des déchets nucléaires produits en grande quantité, est aussi en cause. Les techniques actuelles savent parfaitement gérer l’entreposage et le stockage des déchets. Mais, la limitation de l’exploitation inconsidérée des ressources planétaires exige la fermeture du cycle. Il faut donc pousser plus loin la réutilisation du combustible qui contient encore près de 98 % d’énergie potentielle après un premier passage en réacteur.

Recyclage multiple du combustible usé = > déchets ultimes / 10

ASTRID : encore un abandon de compétences industrielles ?

Les réacteurs à neutrons rapides (RNR = fission) refroidis au sodium, sont capables de réduire d’un facteur dix, environ les déchets ultimes issus de l’exploitation d’un parc nucléaire par le recyclage multiple du combustible usé. En cela ils répondent à l’exigence de fermeture du cycle qui ouvre droit au label « clean energy » très en vogue à Bruxelles. C’était tout l’objet du projet de construction du prototype ASTRID (Advanced Sodium Technological Reactor for Industrial Demonstration ) ; une production d’énergie bas carbone, qui optimise l’utilisation du combustible, réduit les déchets issus de l’exploitation du parc, et contribue à l’indépendance énergétique de la France. Cela vient d’être renvoyé aux calendes grecques (fin du siècle) par l’actuel gouvernement.
Les déboires et surcoûts de l’EPR de Flamanville s’expliquent pour une bonne partie par la perte des compétences industrielles pour construire des réacteurs nucléaires (cf conclusions du rapport d’audit Folz), si elles ne sont pas entretenues durant le fonctionnement du parc. Autant dire que les délais prévus avant de lancer la construction d’un éventuel futur prototype RNR (de l’ordre d’un demi-siècle), dont le concept n’existe que sur le papier, condamnent ce projet puisque compétences et capacités scientifiques, techniques et industrielles n’existeront plus et nécessiteront des années pour les reconstituer !

En marche vers la fusion ?

Il existe une autre forme « nucléaire » : la fusion thermonucléaire. Elle vise à exploiter le formidable potentiel énergétique produit par la fusion de deux atomes légers : par exemple la fusion de deux molécules d’hydrogène qui crée de l’hélium et dégage 18 MeV (comme au cœur du soleil).
Reproduire sur terre la fusion thermonucléaire est un immense défi scientifique et technique. Le cœur du soleil est un plasma géant permettant les réactions de fusion dans des conditions de pression et de température extrêmes (proche de 100 millions de degrés !). Le plasma est considéré comme le 4ème état de la matière, au-delà de l’état gazeux. Les protons et électrons y ont perdu leur attraction électromagnétique : les composants de l’atome circulent plus librement et peuvent entrer en collision pour former des atomes plus complexes libérant au passage de l’énergie.
Après d’intenses recherches dans les domaines de la physique, de la chimie, de la métallurgie et de l’ingénierie, la communauté scientifique internationale a réussi à produire, à stabiliser et à faire fonctionner un plasma composé de deux isotopes* de l’hydrogène. Différentes installations expérimentales démontrent déjà de par le monde la faisabilité technique de la fusion thermonucléaire et sa possible domestication sur terre.

ITER pour une énergie abondante, sûre et propre

Produire une quantité d’électricité très supérieure à celle nécessaire pour faire fonctionner les réacteurs de fusion thermonucléaires, c’est précisément l’objectif de la prochaine étape qui se déroulera dans une machine en cours de construction à Cadarache : la machine ITER (en latin le chemin). Son cœur est 10 fois plus grand que les machines expérimentales existantes. Cela en fait le chantier mondial le plus ambitieux dans le domaine de l’énergie. Mais avant de passer à l’industrialisation, ITER doit prouver qu’il est possible de récupérer au moins 10 fois plus d’énergie que celle nécessaire pour alimenter la machine (la taille envisagée pour un futur prototype industriel devrait être la même). D’ailleurs, il a fallu construire une ligne haute tension (400 kV) qui ne servira qu’à la mise en route ITER !

Cette technologie de fusion thermonucléaire ouvre donc des perspectives de ressource illimitée d’énergie (l’hydrogène est abondant et peu cher) : une technologie sûre (la réaction ne s’emballe pas), très facile à arrêter (il suffit de couper le courant et instantanément le plasma disparait) et sans déchet radioactif. Seul bémol (et de taille) : le déploiement des premiers réacteurs à fusion (1ère moitié du XXIIème siècle ?) sera lié à deux conditions préalables : que le réseau d’électricité soit adapté à une production centralisée, mais aussi qu’il existe des réacteurs nucléaires de fission pour démarrer ces futurs réacteurs de fusion, car les énergies renouvelables seront inadaptées : un argument fort que l’on n’entend pas souvent dans les médias…

ITER pourrait récupérer 10 fois plus d’énergie que celle fournie

* : Les isotopes sont des atomes qui possèdent le même nombre d’électrons (et donc de protons, pour rester neutres), mais un nombre différent de neutrons

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