Une nouvelle loi sur la formation : progrès ou régression en matière de droits ?

[Options 643 janvier 2019] Serait-on à un tournant social avec la loi « Pour la liberté de choisir son avenir professionnel » votée en 2018 ?

Ce serait étonnant d’aboutir à un progrès social en matière de formation de la part d’un gouvernement bien ancré dans un ultra liberalisme et qui impose en force des régressions sociales. Un gouvernement qui a accéléré, par ordonnance, donc sans débat démocratique, la casse du code du travail. Mais en matière de formation, les salariés vont-ils enfin pouvoir faire le choix de leur avenir professionnel ? La méfiance s’impose … Alors décortiquons la réalité de ces changements.

La formation professionnelle : c’est quoi ?

La formation professionnelle en France représente un budget de 25 Milliards d’€, sans compter le financement interne des entreprises qui est estimé à environ 7 Milliards d’€.
Pour une partie de cette somme, la gestion s’est toujours faite de façon paritaire, patronat/syndicats, à travers divers organismes nationaux, régionaux et internes aux branches professionnelles.
La formation professionnelle englobe bien sûr les formations en lien avec le métier exercé, mais également des formations promotionnelles pour accélérer sa carrière. Elle inclut également tous les droits et dispositifs existants auxquels peuvent accéder les salariés pour mieux se connaître, réfléchir à leurs propres parcours, faire le point de leurs connaissances acquises ou encore analyser les besoins d’emplois et de compétences de l’entreprise pour mieux s’orienter.
En termes plus concrets, il s’agit de Bilans de Compétences, de Validation des Acquis de l’Expérience, de Gestion des Emplois et des Compétences et autres dispositifs internes aux entreprises à travers leurs accords formation. Autre exemple : Cap Cadres ou Cap Maîtrise à EDF et Enedis qui ouvrent l’accès aux collèges supérieurs au travers de l’obtention du diplôme correspondant, et cela sans nécessiter d’avis hiérarchique.

Un outil au service du patronat ou du salarié ?

Tout dépend du rapport de force que syndicats et salariés sont en capacité de construire. Car comme dans bien d’autres domaines, le paysage de la formation professionnelle, au cours du temps, a été plus ou moins favorable suivant les périodes de notre histoire sociale.
Après les grands mouvements de 1968, les textes législatifs ont tenu compte des aspirations et des revendications de l’époque. Cela a, entre autres, donné naissance à un nouveau droit en 1971 : le Congé Individuel Formation (CIF). Un droit absolu du salarié dans le choix de sa formation pour sa propre émancipation.
Mais depuis une bonne dizaine d’années, les lois sur la formation se sont enchaînées pour toutes aller dans un sens négatif, à savoir, l’individualisation des droits et la responsabilisation du salarié vis à vis de sa formation. Alors, oui, le salarié a des droits en matière de formation professionnelle et il doit pouvoir les utiliser au mieux dans la construction de son parcours. Mais le patronat organise à sa main, avec l’aide des gouvernements successifs, des outils qui le dédouanent de ses responsabilités en la matière et qui fragilisent toujours plus les droits collectifs des salariés. Le paroxysme de ces velléités patronales est illustré dans cette dernière loi sur la formation. Faisons pour cela un aperçu des grandes tendances.

Fin de la référence à la qualification du salarié

La loi 2018 remet en cause la reconnaissance du salarié par sa qualification. Il n’est plus question maintenant que de compétences attendues par les entreprises. Quelle différence entre qualification et compétences et quel risque pour les salariés ?
Dans les entreprises qui reconnaissent encore la qualification d’un salarié à l’embauche, en fonction du diplôme initial, il y a de forts risques pour qu’à l’avenir, cette reconnaissance qui repose sur des critères factuels (le diplôme obtenu) soit remise en cause. L’entreprise jugera le salarié sur les compétences requises dans l’emploi qu’il occupe. L’évaluation et son niveau de salaire seront en fonction de ces seuls critères subjectifs.

Changement de la finalité de l’action de formation

Depuis la Loi Delors (1971), la Formation Professionnelle Continue (FPC) était considérée comme faisant partie de l’éducation permanente. L’efficacité des salariés au travail est, certes, en lien avec leurs compétences, mais également et plus généralement, avec leurs connaissances, leur culture, leur développement personnel et leur bien-être. Il s’agit de leur qualification.
En 2003, première coupe dans la politique de formation, puisque la notion de formation tout au long de la vie renvoyait déjà à une formation utilisable à court terme.
En 2018, la nouvelle loi redéfinit l’action de formation comme « un parcours pédagogique permettant l’atteinte d’un objectif professionnel ». Il n’y a plus d’ambiguïté possible ! La formation professionnelle n’a plus pour objet que de répondre aux besoins immédiats du « marché » et non plus aux besoins des personnes.
Non seulement la revendication patronale de lier la formation professionnelle exclusivement aux besoins d’adaptation des salariés au marché a abouti, mais en plus ceux-ci peuvent maintenant appeler : « Formation Professionnelle Continue » (FPC), des dispositifs qui en étaient exclus.
Par exemple, la Formation en Situation de Travail va pouvoir rentrer dans la catégorie FPC. Mais cela apporte deux contradictions aussi problématiques pour le salarié que pour le management.
Pour le salarié : il y a toujours eu, au niveau de la loi, une séparation entre son statut lorsqu’il est au travail et lorsqu’il est en formation. Le droit à l’erreur est forcément accepté pendant la formation, alors qu’il peut être objet de litige, voire de faute grave, pendant les heures de travail effectif.
Pour le manager en charge de l’organisation du travail : il devra pouvoir identifier, dans les process en cours, lesquels ont une valeur formative et qui pourront répondre aux critères de la formation du salarié.
Les syndicats devront donc être très vigilants sur cette question en mettant en place un contrôle social efficace.

Suppression d’un droit fondamental : le Congé Individuel Formation

La suppression du CIF répond à une revendication du patronat qui a toujours contesté ce droit absolu, pour le salarié, qui pouvait choisir n’importe quelle formation et la faire financer sur son temps de travail.
Fini ce droit à un congé rémunéré, fini la liberté de choix d’une formation diplômante et fin aussi du financement dédié …
C’est un véritable retour en arrière historique du paysage de la FPC !

Transformation du Compte Personnel Formation et réduction des moyens

Le Compte Personnel Formation (CPF) est mis en place depuis la loi de 2014. Tout en apportant des heures disponibles supplémentaires, il contribue encore un peu plus à la responsabilisation du salarié face à la formation professionnelle.
La loi 2018 propose de simplifier l’accès des salariés à ce dispositif. Pour ce faire, une application va être mise en place pour que le salarié visualise son compte formation et fasse directement sa demande de CPF en ligne.
Cette application peut sembler positive et facilitatrice pour l’accès à la formation, pourtant elle va laisser le salarié seul face à l’organisme de formation. Le risque est grand qu’il y ait rapidement une augmentation des coûts de la formation pour une qualité en baisse, du fait d’une moindre surveillance par les organismes agréés. En parallèle, le CPF est transformé en €uros avec une baisse drastique de ses moyens.

Fin du CIF
qui finançait n’importe quelle formation sur le temps de travail

Démonstration : Aujourd’hui le salarié reçoit sur son compte CPF 24 heures de formation chaque année pour un total de 150 heures maximum. Demain il recevra 500 € par an pendant 10 ans. Sachant qu’une heure de formation coûte en moyenne 30 € cela représente donc 16,7 heures par an contre 24 heures annuelles précédemment !

Transformation de l’apprentissage au détriment des apprentis

Ce sont les branches professionnelles qui vont avoir à financer et à décider des programmes de formation des apprentis. Elles pourront mettre en place des certifications de branche et décider elles-mêmes des programmes de formation en fonction des besoins des entreprises.
Contrairement aux programmes de formation mis en place aujourd’hui par les régions et les ministères, confier cette responsabilité aux seules branches professionnelles risque de rendre les programmes uniquement axés sur les besoins réellement utiles aux entreprises, quitte à laisser de côté tout ce qui concerne les connaissances générales de l’apprenti.
Le patronat a donc réussi à mettre la main sur les programmes de formation. Il est évident qu’il ne va pas former des futurs citoyens aptes à s’émanciper, mais bien des petits soldats uniquement compétents sur les attendus de l’entreprise ou de la branche professionnelle… ■

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